Le bol de riz
Le ciel a pris un profil bas.
Dans l’air flottait un parfum d’orage.
Soudain, branle-bas de combat!
Combat de titans que se livraient les nuages!
Nuages de mousson, présents de Neptune!
Dans le clair obscur sans étoiles, ni lune,
s’est mué mon fromager familier
en colosse aux bras d’acier.
Tout d’un coup, le manteau couleur de suie
en zigzag s’est déchiré
et, dans un énorme fracas trempé de pluie,
un bras du colosse s’est détaché,
entraînant dans sa chute un serpent ébahi.
D’un coup de bâton je l’ai occis.
Gibier sans fanfare ni clairon
soigneusement dissimulé dans un caisson!
Sans compter la trahison de mes pas mouillés
souillant le carrelage immaculé.
Cri de frayeur! Voix terrifiante et chère!
Mon trophée venait d’être découvert.
Prudence étant mère de sagesse,
j’ai filé en vitesse.
Des cordes de pluie accrochées aux nuages
avec la douceur du miel caressaient mon visage.
Couché à même la chaussée,
j’ai senti sur mon corps l’eau qui montait,
qui le soulevait et qui l’entraînait
dans des jouissances jamais égalées.
Construis donc la prochaine fois
un radeau tout en bois
et le monde sera à toi,
me dit une douce voix.
Adieu l’école, les devoirs, les leçons!
Tu descendras la rivière de Saïgon;
après la Mer de Chine et l’Océan Pacifique,
le vent te poussera jusqu’en Amérique.
…
Voilà une heure que tu rumines devant ton bol de riz!
Veux-tu donc rester petit toute ta vie?
Albert TRAN 03/06/2000